Didier Kala, mardi 23 juin 2009 - 11:31
« To take care for the future is to destroy hope and love in the world. »
Il y a peu de chances que Nicolas Sarkozy ait perdu un temps précieux à lire la très noire pièce de James Joyce, Exiles [1]. En formidable animal politique, du genre ratier, il a néanmoins su comprendre les préoccupations majeures des Français et entend bien faire rêver ceux-ci en leur parlant d’espoir, d’amour et de pognon, sans pour autant s’engager sur quoi que ce soit.
Le chef de l’Etat lancera donc à la rentrée un grand emprunt dont les modalités restent à définir, d’un montant non encore fixé, pour faire des trucs dont personne n’a idée. Que ceux-la qui croivent que c’est pas de l’espoir et de l’amour lui jettent la première pierre.
Il n’aura échappé à personne que la France est actuellement en processus de sortie de Crise : le taux de travaillage baisse, le niveau de prestations des services publics tend vers l’ascèse et la jeunesse de Villiers-le-Bel profite enfin du plein air plutôt que de rester enfermée devant la télé.
Une véritable révolution culturelle, tendance Malevitch période blanche.
Or une sortie de Crise, ça se finance correctement si on ne veut pas rater cette magnifique occasion de faire table rase du passé. Comme l’a largement souligné le président de la République, « notre avenir se décide maintenant ».
Et c’est là que le bât blesse : maintenant là tout de suite, la France n’a plus de fric. C’est la grande leçon apprise dans le magnifique palais de Versailles.
Les grandes lignes dessinées hier par Nicolas Sarkozy devant le Congrès visent toutes à faire renouer la France avec la croissance et les trucs comme ça : faire d’internet un espace de liberté sur lequel les gens paieront pour écouter de la musique, arrêter de donner de l’argent aux ethniques (qui parfois abusent, hein), réformer le modèle social français auquel il faut rendre hommage mais qu’a des limites côté masse salariale... Autant de petits gestes qui, s’ils sont appliqués au quotidien, aideront la France à sortir renforcée du marasme, mais ne pourront pas tout faire.
C’est pourquoi, fermement convaincu que « rien ne sera plus jamais comme avant », le président a décidé de réfléchir en dehors du bocal [2] et de retourner la règle d’or de tout investisseur raisonnable, pour voir : on va s’endetter pour éponger les errements du passé.
La France va donc emprunter.
Le marché du crédit revolving étant particulièrement grotesque au Pakistan ces temps-ci, il a finalement été décidé de procéder à un emprunt national, en espérant qu’à l’automne la France aura à nouveau de l’argent.
En ce qui concerne les modalités exactes, on sait déjà qu’il ne s’agira pas d’un emprunt à la Balladur. D’une part un ministre du Budget incompétent l’a si mal manipulé qu’il en a résulté un déficit, et d’autre part Nicolas Sarkozy ne connaît pas ce M. Balladur. De surcroît c’était il y a plus de quatorze ans, alors quatorze ans, pffoouu...
Restent à définir deux points cruciaux que M. Sarkozy n’a pas eu le temps d’expliciter : à qui demander ? Pour quoi faire ?
Proposer cet emprunt aux particuliers cimenterait la cohésion nationale et donnerait à chacun le sentiment de faire voile commune vers un radieux avenir, là, juste derrière l’horizon. Complices, les soutiers de la France qui gagne s’identifieraient d’un jovial « Ah, toi aussi ? » avant d’en commander un petit dernier à Momo au Vivaldi, rue Sadi Carnot à Bagnolet.
Mais pour libérer les fonds nécessaires, le particulier devrait revendre ses Eurotunnel — une mauvaise idée actuellement car, comme le disent en termes très techniques les boursicoteurs avertis, ça va BOOSTER !!! Un jour.
L’hypothèse la plus probable est donc celle d’un emprunt destiné aux investisseurs institutionnels. Par chance, une bonne partie de ceux-ci ont récemment hérité d’un parent éloigné. En vertu du principe du ruissellement de la richesse (le gros doigt invisible du marché écrase un bouton, ça ruisselle) cet argent pourrait très prochainement se retrouver dans les caisses de l’Etat.
En fonction du montage qui sera élaboré pour sauver la France, les institutionnels pourraient échapper aux diverses taxes à payer sur leur héritage, et toucher les intérêts de leur prêt à la place. Puis éventuellement rembourser le trop perçu sur le principal de l’héritage. Mais c’est assez compliqué, aussi personne n’ira s’emmerder à lire ça en détail.
Le Français moyen peut toutefois être assuré qu’il ne s’agit en aucun cas d’une espèce de rétro-commission.
No Future ! Plus que jamais, Nicolas Sarkozy s’affirme comme une icône punk.
Une fois l’argent récolté, il servira à faire tourner la machine à rêves. C’est l’inspiration de génie du président de la République : il n’a rien défini de précis lors de son discours, même si les observateurs aguerris de la vie politique ont cru voir dans son « des trucs comme ça » de vendredi, à Bruxelles, une ébauche de ce que sera son ambitieux plan de fin de quinquennat.
A ce titre, l’essentiel des sommes recueillies devrait servir à financer le Plan de Relance, qui est le nouveau nom du Budget mais avec plus de souplesse pour une distribution discrétionnaire proactive et microlocalisée.
Des hélicoptères pour RTE ? Bingo, c’est la relance !
Un contrôle technique pour votre vieux Massey-Ferguson ? Bingo, c’est la relance !
La modernisation du bureau de poste Auray Wilson ? Et oui, ça aussi c’est la relance !
Les propositions ouvertes et sans a priori que Nicolas Sarkozy a faites à Versailles font donc mentir les quelques tristes sires de l’opposition qui voyaient dans ce discours devant le Congrès une dérive monarchique. Elles redonnent aussi l’espoir aux Français : leur président est un jeune cabri impétueux qui bondit de roche en roche en défiant la gravité pour atteindre des sommets toujours plus élevés.
L’improvisation, ça ne marche pas qu’au Djamel Comedy Club : on peut aussi s’en servir pour réussir sa sortie de Crise.
Il faudra toutefois attendre septembre et le discours prévu par le chef de l’Etat dans la cathédrale de Reims pour avoir plus de détails.
[1] Rapidement : pour une fois, il fait beau à Dublin, mais Richard garde tirés les rideaux de son étude. Sa femme, Bertha, ne couche pas avec Robert. Richard est triste. Bertha est triste. Robert est triste et va faire une partie de billard de poche dans le bosquet de rhodos.
[2] En dehors de la boîte mais en évitant tout risque de coquille malheureuse à l’impression.
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