Didier Kala, mardi 27 juillet 2010 - 10:53
La dernière production de l’enfant terrible du cinéma national est sortie juste à temps pour figurer dans la sélection du Festival Rires & Chansons du Film Géopolitique, qui aura lieu en septembre à Tourcoing.
Après une série de succès en demi-teinte - on ne se souviendra que fort peu du vaudeville W., qui n’a pas marqué grand monde - Nicolas Sarkozy persiste dans le registre burlesque avec cette comédie dramatique aux faux airs de snuff movie et troussée au culot. Grand bien lui en a pris, puisqu’il a réalisé là un petit objet parfaitement WTF, incongru en cette période estivale et à total contre-courant de son registre habituel.
Der Regisseur s’est-il réinventé ?
Dans Gangs of Neuilly, le jeune Nicky Santoro finira par broyer les testicules de son mentor dans un étau. Le personnage a bien évolué depuis.
Nicolas Sarkozy a peut-être digéré son rapport conflictuel à l’image, le magnifique antagonisme qui dès les débuts de sa carrière en a fait le chouchou des Français.
Car le vrai sujet de Nous ne sommes pas toutes des infirmières bulgares, c’est l’image. Et son traitement, une étape révolutionnaire dans la carrière de ce prodige de la mise en scène, c’est l’absence : l’absence de caméras, l’absence d’artifices, l’absence de causalité, l’absence de résultats.
Une espèce de JCVD filmé à la sauce Dogme, un docu-fiction qui titube au bord de l’abyme et qui semble préférer la chute au statu quo des certitudes du monde de la raison.
Après avoir vu Nous ne sommes pas toutes des infirmières bulgares, Christopher Nolan a d’ailleurs déclaré qu’il souhaitait se crever les yeux puis réaliser Twilight 4. Un bien bel hommage d’un maître du genre.
Tout dans ce film contribue à brouiller les frontières entre monde réel et monde fantasmé, invitant ainsi le spectateur à cohabiter l’esprit de Nicolas Sarkozy.
La raison n’est-elle rien d’autre qu’un réflexe animal à des stimuli extérieurs ? Doit-on faire confiance à ses sens ou bien faut-il les ignorer pour se rendre voyant, comme l’avait postulé Arthur Rimbaud ? Ce sont à ces questions que devra répondre le cinéphile. Tout seul, car Nicolas Sarkozy se garde bien de donner la moindre solution à ces interrogations existentielles, ni même un fil conducteur cohérent.
Robin Williams s’est déclaré intéressé par un rachat des droits. Un nouveau virage pour Madame Doubtfire ?
Le pitch semble à première vue désordonné : le philosophe du spectacle Bernard-Henri Lévy y parle avec gourmandise d’infirmières bulgares (l’aspect comédie du film : gros seins, gros culs, große Rigolade) dans ce qui se révèle être - dévoilé par contre-plan magistral sur un Laurent Ruquier hilare - une analyse critique de la première partie de carrière du réalisateur, la série des Liberator.
Cette scène est immédiatement suivie d’un micro-trottoir caméra à l’épaule, durant lequel 53% des personnes micro-interrogées déclarent que Nicolas Sarkozy ferait un bon président de la République, entrecoupé de scènes de Carla Bruni accompagnée par les Tambours du Burundi chantant dans le métro un terrifiant poème sur le syndrome de Stockholm.
La propre mère de l’acteur-réalisateur enchaîne ensuite les confidences. On apprend ainsi que les thèmes de la libération et du sauvetage sont primordiaux dans son système de valeurs depuis qu’à l’âge de cinq ans il a changé d’avis et sauvé un chaton de la noyade.
Y succède un journal télévisé d’Al-Jazeera, non sous-titré mais où l’on entend plusieurs fois énoncé le mot Sarkozy.
Représentation ? Présentation ? Qui regarde ? Qui dirige ? Qui est otage de l’image ?
Car c’est bien d’otages et d’images qu’il est question, la colonne vertébrale du film semblant être le tragique destin de Michel Germaneau, cet inconnu dont nous ne voyons que le visage présenté par ses ravisseurs et assassins.
Cette image existait-elle avant que nous la regardions ? Peut-on se l’approprier sans la mettre en danger ? Y réagir la rendra-t-elle plus réelle ou bien les conséquences d’une réponse à cette image - un raid au Mali, par exemple - feront-elles qu’elle s’éteindra à tout jamais pour ne laisser place qu’à un enregistrement audio ténu [1] ?
Le plan media du film, un exemple absolu de guerilla marketing qui précédait la guerilla tout court puis très bientôt du guerilla damage control, effaçait déjà les pistes pour mieux nous perdre : une intervention surprise de Nicolas Sarkozy le 12 juillet plutôt que le 14 ; une entrevue naturelle, une discussion entre deux vieux amis, le cheveu grisonnant d’un homme qui délaisse le cocon des apparences pour révéler son essence ; un douloureux monologue sur un otage anonyme alors qu’on l’attendait sur deux autres otages médiatisés (des journalistes donc des producteurs d’images !)...
Tout était réel, comme pour mieux évacuer la nécessaire scénarisation de cette réalité-là - « Ma vérité », comme l’avait avoué le grand artiste à David Pujadas, presque gêné par sa vision hors-normes.
Ce perpétuel jeu de miroirs, ce jeu de cache-cache dans une forêt où seuls l’auteur et le spectateur tendent l’oreille, laisse perplexe, mais en bien. Une histoire triste en été, une histoire semble-t-il sans queue ni tête : il faut en retrouver le sens.
Mais en refusant de nous servir un signifié sur un plateau, Nicolas Sarkozy violente nos retranchements intellectuels et nous offre le plus beau des cadeaux, une interrogation métaphysique qui nous rend vivants en bousculant nos certitudes : « WTF ? »
Du beau, du grand cinéma.
Episode de telenovela français (2010). Comédie, drame, documentaire, snuff. Durée : super rapide. Réalisé par Nicolas Sarkozy. Avec Nicolas Sarkozy, David Pujadas, des images de Michel Germaneau, la BAC Mali. Cinq couilles de coq Brave Patrie.
[1] Spoiler : elle le fait.
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