Didier Kala, mardi 22 juin 2010 - 12:04
Les patriotes avaient déjà du mal à se reconnaître dans le comportement peu reluisant que l’équipe de France de football avait adopté sur le terrain. Les événements de ce week-end, et en particulier le refus de s’entraîner dimanche, ont consommé le désamour. Les media ont heureusement su jouer leur rôle et trouver les mots justes pour préserver l’honneur : quand les enfants gâtés font grève, les grévistes sont des enfants gâtés.
Ça a commencé comme en 2002 : en douceur.
En janvier de cette année-là, quelques membres de la rédaction avaient profité de l’actualité pour entamer un dialogue fraternel, un de ceux que seul le sport sait provoquer, avec des supporters des Bafana Bafana sur les trottoirs de Soweto, en Afrique du Sud : « Nkosi sikelel’ iAfrika », soit « On va vous la mettre profond, sales fils de putes ».
Force fût de constater que non, et il fallut boire sa honte. Il y avait toutefois des circonstances atténuantes : Zidane avait été marabouté, ce qui relève de la médecine du travail.
Rama Yade devrait vite remonter dans les sondages. Attention toutefois aux éclaboussures, le yoyo faisant souvent gerber.
En 2010, la situation est bien plus grave. Outre les piètres performances sportives, il faut composer avec un comportement typiquement français : le refus déclaré de travailler.
La presse prit quelques heures pour mettre le doigt sur l’essence de cet événement sans précédent, un délai dû au déplacement de son Rédacteur en Chef à Saint-Pétersbourg, où la 3G passe assez mal et où il est impossible de synchroniser correctement l’appli du Figaro sur son iPhone.
Le communiqué de presse lu par Raymond Domenech ne mentionnait pas le mot honni, pas plus que ne le faisaient les premières dépêches en provenance de Knysna, qui se bornaient à mentionner un boycott de l’entraînement.
C’est tard lundi soir que s’est confirmée par écrit et sur les ondes la sombre prémonition de dizaines de millions de Français : les Bleus avaient fait grève.
Des Bleus payés très largement au dessus du SMIC, nourris, logés et blanchis comme des rois. Des nantis.
Malgré leur statut privilégié, ou sans doute du fait de celui-ci, ces para-fonctionnaires [1] ont fait ce qu’aucun salarié du privé ne se permettrait.
Voilà bien le fond du problème : la tendance qu’ont ceux qui ont tout de prendre en otage les honnêtes travailleurs qui souffrent en fin de mois, en particulier avec les traites sur leur nouveau téléviseur 3D.
Dans les écoles de journalisme, on se félicite des nouveaux manuels illustrés : "Une image vaut mille mots !"
Mais, grâce à la vigilance des media, la peur a enfin changé de camp.
La grève des Bleus est perçue par les Français pour ce qu’elle est réellement : un caprice d’enfants gâtés.
Grâce à la persistance des media, c’est même — enfin ! — le concept de grève lui-même qui apparaît aujourd’hui aux Français comme un caprice.
C’est pourquoi l’épopée 2010 de l’équipe de France de football, insignifiante au niveau sportif, peut d’ores et déjà être considérée comme un triomphant retour à l’ordre moral.
Une blessure à l’orgueil, oui, mais aussi une salutaire prise de contact avec la réalité : quand on a des devoirs envers le public, on prend ses responsabilités et on ne fait pas grève.
Une leçon qui tombe à point nommé avant la journée d’action du 24 juin. Les grévistes putatifs de la RATP et de la SNCF devraient en prendre de la graine. Les media l’ont fait, alors il n’y a pas de raison.
[1] Le salaire des membres de l’équipe de France relève de la Fédération Française de Football et non du budget de l’Etat, mais la FFF est entre autres financée par les cotisations de vos enfants. Votre pognon, quoi.
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