« Pour moi, prendre une belle carpe commune, c’est comme attraper un lingot d’or vivant », dit Roger D., 21 ans de pratique.
Le coup de foudre, il l’a eu en mai 1981, un jour où il regardait la télévision : « Quand j’ai vu apparaître le visage de Mitterrand, j’ai dit à Simone qu’on en aurai pour 20 ans de chienlit et qu’avec le Communisme on trouverai plus rien a becqueter ! Alors je suis devenu pêcheur de carpe ! ».
Plus le temps passe, plus il ne comprend toujours pas pourquoi M. Giscard d’Estaing, le joueur d’accordéon, n’a pas été élu ! « Notre Brave Patrie ne serais pas dans cet état pitoyable » nous confie t-il. « J’aurai pas eu à pêcher pour survivre ! Mr le baron de Tromblon m’aurai placé comme palefrenier chez son métayer ! ».

Avec le grand retour démocratique de ces trois derniers mois, Roger a retrouvé immédiatement un emploi quand M. le baron est rentré de son exil Uruguayen pour être élu Maire de Tromblon. Il assure désormais la haute et vénérable fonction d’agent technique de sécurité piscicole, et à ce titre il a tenu a organiser le premier « Mundial » de pêche à la carpe. Car depuis peu la pêche à la carpe a son championnat du monde qui va voir s’affronter les compétiteurs des trois lieu dit de la paroisse de Tromblon. « De tout temps, en cas de coup dur, les gars de Tromblon se sont fait pêcheur de carpe ! Les cocos sont bien foutus de revenir, alors faut pas perdre cette belle tradition et la transmettre aux jeunes au cas ou ! C’est qu’on ne s’improvise pas pêcheur de carpe, il faut être plus malin que le poisson, savoir observer, lire le terrain, acquérir le sens de l’eau, attendre… attendre … et puis attendre encore un petit peu ! ».

Sous les noisetiers, immergé dans l’eau, le Ricard est au frais, prêt à désaltérer entre deux guets. Bien calées sur deux solides supports, six cannes découpent leur fine silhouette sur la surface tranquille de l’eau. « Temps couvert, temps à carpes », dit Pierre L. président du Carpe Club de Tromblon, l’un des plus anciens de France, qui vient d’expliquer le plaisir qu’il prend à partir quinze jours avec des copains à la découverte de nouveaux plans d’eau.

Parole d’or puisque, tout à coup, retentit l’alarme électronique indiquant qu’il se passe quelque chose au bout d’une des lignes. C’est Roger qui s’y colle : « Plus tu pêches fin, plus c’est excitant, car il faut épouser le combat, tirer et laisser filer à bon escient pour ne pas casser. Ça peut durer entre 10 et 20 minutes. ». Ici, l’affaire est pliée en cinq minutes, et au bout de la fourche de Pierre se débat une pièce de 9 kg, aussitôt déposée sur un petit matelas pneumatique pour lui éviter tout traumatisme.
Normal : chez les carpistes de Tromblon, on est fier de pratiquer la pêche avec mise à mort à la fourche. « La fourche c’est pas nécessaire en soi, mais c’est pour la beauté du geste, et puis on gagne 10 à 15 minutes pour sortir la carpe de l’eau comparé a avec une épuisette » nous rassure Emile F. tout en servant une nième tournée de Ricard pur.

Une fois pesée, la « bête » est mise sur le dos, « ça la détend » dit Emile. Deux minutes de pose pour la postérité, et puis Roger commence à la découper pour le barbecue du soir.

Après avoir trinqué une nouvelle fois, lentement, les trois hommes se rendent près de la rive et se penchent sur le lac pour appâter au vomi.

C’est ainsi qu’on boucle le cercle de la vie à Tromblon.