"Je trouve totalement révoltant ces gens qui passent un chiffon gras sur mon pare-brise, le dimanche après-midi, lorsque je reviens du Polo-Club pour aller prendre un cocktail dînatoire chez Maxim’s. Ces gens n’ont véritablement aucune pudeur, ils viennent nous étaler leur crasse jusque sous les yeux !". Hélène de Duvrant-Flagard, le visage tendu (et pas uniquement par son lifting fraîchement refait), promène sur la plèbe de Neuilly ses yeux las, tandis que nous nous entretenons à bâtons rompus à la terrasse d’un café, autour d’un mix-club de queues de homard estampillé Hédiard.

"Tous ces pauvres... Ils nous rendent la vie impossible !". Le mot est laché, le message passé : c’est précisément celui qu’a entendu Nicolas Sarkozy, ancien maire de de Neuilly-sur-Seine [2], lors de son passage au dernier raout organisé par Mme Duvrant-Flagard.

"C’est justement pour cette France des oubliés que le gouvernement propose ce texte", déclare Nicolas Sarkozy, fringand dans son trois-pièces de chez Fargeaud Frères. "La gauche a trop longtemps laissé la gabegie s’installer. Nos pauvres ne connaissent plus la place qui leur est dûe, et se permettent de souiller nos carrosseries, nos rues, notre honneur même ! Les gens normaux ne supportent plus cela, la gauche a d’ailleurs chèrement payé cette leçon."

En la matière, Nicolas Sarkozy, lui, n’a de leçon à recevoir de personne. C’est donc d’une main de fer que notre Ministre de la Répression Généralisée organise une véritable guerre contre la pauvreté, dont l’objectif est de nous débarrasser des petits tracas qui nous rendent la vie impossible.

Ainsi, le miséreux affamé tendant la main l’oeil torve, le chômeur bénéficiant indûment de réductions dans les musées (alors que franchement, que comprend-il à l’[art] ?), l’intermittent du spectacle justifiant son indigence par des théories gaucho-nihilistes de l’art, l’ouvrier spécialisé syndicaliste cherchant à rogner sur la marge des grands patrons, l’aveugle, le romanichel, la prostituée, le chien errant, tout cela est amené à devenir hors-la-loi.

Véritable bras armé de cette politique d’assainissement social, nos forces de polices, autorisées à la fois et sur le champ à juger et exécuter les sentences, seront garant de notre tranquilité, de notre sérénité dans la consommation, faisant de nous, les gens biens, Brave Patriotes, les acteurs du redressement économique.

Lorsque toute cette saleté aura disparu sous le tapis de la répression policière, nous seront assurés de vivre dans une société saine, rationnelle, adulte. Dans nos rues cristallines, nous passerons de vernissage en coktails, de mariages en baptêmes, de courses en golfs, sans plus devoir supporter la répugnante vision de parasites ne devant leur existence qu’au laxisme socialiste. Quel avenir radieux se présente à nous ! Vive Nicolas Sarkozy, vive la France !